Une attente de douze années vient de prendre fin. Entré dans sa phase de pré-conception en 2001, soit un an après la sortie de son prédécesseur, Diablo III aura connu un développement interminable, comme seul pouvait se le permettre Blizzard. Tout au long de cette genèse, Jay Wilson et son équipe se sont attachés à maintenir le projet en constante évolution. Mais à l'heure du lancement, alors que la décision a été prise de reporter le PvP – non finalisé – pour ne pas jouer davantage avec la patience des fans, Blizzard apparaît comme un artiste ayant du mal à mettre un point final à une œuvre trop longuement couvée. Est-ce un bon, ou un mauvais présage ?
Il est toujours difficile de succéder à un chef-d'oeuvre. De même que Starcraft était le pire ennemi de Starcraft II, les deux premiers Diablo, qui ont posé les bases du hack'n slash moderne, restent les plus gros concurrents de Diablo III. Voilà une vérité dont on a pris conscience tout au long de la promotion du jeu. Cela a démarré avec la "polémique des couleurs" qui a suivi la divulgation des premières images ; cela a continué à mesure que les fans prenaient connaissance des fonctionnalités de ce troisième opus et s'inquiétaient de leur proximité avec celles d'un certain World of Warcraft. Entre sa volonté d'ouvrir Diablo à un plus large public et les réticences de la communauté, Blizzard semble avoir recherché le compromis. La bêta fermée, que l'on considérait comme un outil de polissage et d'équilibrage, aura même pris la forme d'une ultime phase d'expérimentation durant laquelle le studio californien n'aura eu de cesse de modifier son jeu, en ajoutant des fonctionnalités et en supprimant d'autres (exit le Cube Nephalem, le Chaudron de Jordanie, la mystique, les parchemins d'identification....). Est-ce le signe d'une difficulté à ménager la chèvre et le chou ?
L'archange Tyrael est une fois de plus au centre de l'histoire.
Blizzard se devait aussi de relever un autre défi : parvenir à dépoussiérer un genre en perte de vitesse. Le hack'n slash "à la Diablo" étant très codifié (vue de trois quarts, jouabilité de type point'n click, différentes classes de personnages, nombreux loots et sets d'items...), il aurait été risqué de s'écarter à l'excès d'un gameplay qui a fait ses preuves. L'éditeur a préféré moderniser sa licence en misant sur la connectivité et les fonctionnalités communautaires, comme il l'avait déjà fait avec Starcraft II. Votre expérience globale sur Diablo III est centralisée dans votre profil de joueur, qui recense vos hauts faits et vos statistiques pour chaque classe incarnée et chaque mode de difficulté débloqué. Vous avez la possibilité de contacter facilement vos amis pour jouer ensemble, sachant que chaque partie lancée peut aussi être rendue publique et donc joignable librement. Enfin, un hôtel des ventes accessible depuis le menu principal vous permet de dépenser l'or accumulé dans vos parties afin d'acheter les objets déposés par les joueurs. On évitera d'alimenter la controverse liée à la présence de transactions à base de devises réelles (dans le cadre d'enchères bien distinctes) : après tout, libre à chacun d'utiliser ou non un service qui n'aura aucun impact sur votre expérience de jeu, et que Blizzard légitime au nom de la lutte contre les gold sellers (en prenant au passage une petite commission). Sachez en revanche que même si vous ne souhaitez pas utiliser l'ensemble des fonctionnalités sociales que nous venons de décrire, une connexion permanente à Battle.net est requise pour profiter du jeu. Autant il nous arrive de fermer les yeux sur cette contrainte de plus en plus répandue, autant on ne peut la passer sous silence quand elle s'accompagne de ratés empêchant certains joueurs de profiter décemment de leur achat. Diablo III vous promettait l'enfer ? Vous risquez d'être servi à l'occasion de ce lancement, qui rime avec engorgement.
Les décors offrent parfois des perspectives vertigineuses.
Mais laissons là ces considérations prosaïques pour nous plonger dans l'histoire de ce troisième volet. Elle se déroule 20 ans après la destruction de la Pierre Monde dans Diablo II : Lord of Destruction. Cette barrière destinée à isoler Sanctuary des Enfers et du paradis avait été corrompue par Baal, si bien que l'archange Tyrael s'était résolu à la détruire. Personne ne pouvait présager les conséquences d'un tel geste... Jusqu'à cette nuit où une comète est venue s'écraser sur la cathédrale de Tristram. Depuis, le village est en proie à de funestes événements. Les morts se sont réveillés, dont le roi squelette Leoric qui sommeillait dans sa crypte. Et alors que Leah recherche activement son oncle adoptif Deckard Cain, disparu dans les profondeurs de la cathédrale au moment de l'impact, la jeune femme est victime d'une vision dans laquelle lui apparaît Azmodan, l'un des démons mineurs. A la faveur d'une superbe cinématique que vous avez sans doute déjà vue, il lui révèle son intention d'envahir le monde en y déversant ses sbires. Mais un héros va se dresser face aux Seigneurs des Enfers pour tenter d'en contrecarrer les plans. Et ce héros, c'est vous ! Voilà une toile de fond aussi sombre que de coutume, qui permet de retrouver certains lieux et certains protagonistes du premier Diablo. Vous aurez notamment l'occasion de visiter les ruines de la vieille Tristram (rebâtie un peu plus loin) et d'y croiser quelques figures bien connues, comme le boss final de l'acte I dont on vous laisse la surprise ! Vous voyagerez par la suite dans des contrées aussi exotiques qu'inhospitalières, comme les environs de la cité de Caldeum. Tout au long de votre périple, vous profiterez bien entendu de cette fabuleuse ambiance gothique qui participe à l'attrait de la série, servie par de somptueux thèmes musicaux, mais aussi par un rendu visuel dont les immenses qualités artistiques compensent largement la désuétude technique.
L'action conserve son dynamisme en toutes circonstances.
Pour ne rien gâcher, Diablo III bénéficie d'une excellente prise en main soutenue par une interface exemplaire qui permet de se concentrer sur l'action, simple mais addictive, délivrée par le genre. On massacre, on loote et on s'équipe avec grand plaisir, sachant que Blizzard a essayé de rendre son jeu le moins répétitif et le moins lassant possible. Pour commencer, les environnements traversés sont agréablement variés ; l'acte I propose notamment une diversité d'ambiances fort appréciable. Les différentes zones de jeu profitent d'un design assez réussi, même si les donjons se montrent plus concluants que les extérieurs, faits de couloirs et de vastes arènes. Elles offrent surtout de multiples opportunités d'interagir avec l'environnement (conteneurs à ouvrir, éléments de décor destructibles à faire tomber sur l'ennemi, pièges à éviter...). Comme le veut la tradition depuis les débuts de la série, la plupart de ces zones, ainsi que les ennemis uniques et les loots, sont générés de façon semi-aléatoire. Mais cet aspect procédural profite aussi à un système d'événements particulièrement bienvenu, qui vous assigne des objectifs annexes à résoudre sur place et sans délai. Blizzard s'est vraiment efforcé de préserver le dynamisme du jeu en toutes circonstances. Les journaux qui vous instruisent sur certains éléments de background sont notamment lus à voix haute, de façon à ne pas interrompre l'action. Dans le même esprit, plus vous avancez dans le jeu et plus le bestiaire auquel vous êtes confronté vous empêche de rester statique pendant les combats : certaines créatures vous chargent en jouant les kamikazes, d'autres utilisent des pouvoirs à effet de zone, d'autres encore se téléportent ou se déplacent sous terre, sans parler de celles qui essaient de vous couper toute retraite en érigeant des murs magiques autour de vous ! Ce joli monde attaque bien évidemment en nombre, ce qui participe là aussi au dynamisme des affrontements
Comme dans Torchlight, il suffit de marcher sur l'or pour le ramasser.
Le système de combat de Diablo III est basé sur la gestion d'une ressource qui diffère en fonction des classes (fureur, mana, puissance arcanique...), mais qui, dans tous les cas, vous permet de lancer des compétences plus ou moins dévastatrices. Même si vous laisserez vite de côté votre attaque de base, votre arme ne doit pas être négligée car ses valeurs sont prises en compte pour déterminer les effets de vos différents pouvoirs. Il va de soi que chaque type d'arme disponible ne peut être manié que par certaines classes de personnages. D'ailleurs, laquelle allez-vous incarner : l'impétueux barbare, le fourbe chasseur de démons, le puissant sorcier, le sage moine ou l'excentrique féticheur ? Ces cinq archétypes, déclinables cette fois-ci au féminin comme au masculin, disposent bien entendu de leur propre style de combat. Le barbare mise sur ses attaques brutales au corps-à-corps, souvent précédées d'un bond, d'un cri de rage ou d'un choc terrestre, pour tuer ses ennemis avant qu'ils ne puissent réagir. Le chasseur de démons, rompu dans l'art du combat à distance, compte sur ses projectiles, ses pièges et ses capacités de dissimulation et d'esquive pour s'en sortir. Le sorcier, maître des arcanes, dispose de nombreux pouvoirs élémentaires capables d'affecter une cible unique ou une zone donnée, mais aussi de quelques sorts de protection. Le moine, qui excelle au contact de l'ennemi, n'en reste pas moins un combattant mobile qui peut compter sur ses talents de soigneur quand ses poings et ses pieds ne suffisent plus. Le féticheur, enfin, soumet à sa volonté des familiers qui se battent à ses côtés, ce qui lui donne le loisir de lancer des malédictions qui affaiblissent ou empoisonnent ses victimes. Voilà qui évoque des profils connus (DPS au corps-à-corps ou à distance, tank, healer, soutien, debuffeur etc.) permettant à chacun de trouver sa place dans un groupe de personnages à condition d'adapter ses pouvoirs en conséquence, l'optique y étant forcément différente de celle du jeu solo.
La direction artistique donne au jeu des allures de tableau.
C'est d'ailleurs là que le bât blesse : dans Diablo III, votre héros est un véritable morceau de pâte à modeler. Ce troisième volet ne vous propose plus de "construire" un personnage à proprement parler. Vous n'avez plus à upgrader ses caractéristiques, qui augmentent toutes seules au fil des niveaux, ni à sélectionner ses compétences sur des arbres dédiés, puisque vous débloquez automatiquement toutes celles qui sont réservées à sa classe. Vous devez par contre opérer quelques choix, car vous ne disposez que de six slots réservés aux compétences actives (les deux boutons de votre souris et quatre touches de raccourci). Mais ceux-ci ne sont en rien définitifs : vous pouvez revenir dessus à tout moment. Même constat concernant les compétences passives et le système de runes. Ce dernier est en soi intéressant, puisqu'il permet de nuancer l'effet de vos différents pouvoirs en augmentant leurs dégâts, en réduisant leur cooldown, etc. Mais dans les faits, il souffre d'un assistanat prononcé vu que chaque rune se débloque à un niveau donné, ne peut améliorer qu'une compétence déterminée, et peut être associée/désassociée librement. Bref, le jeu regorge d'options de personnalisation autorisant un nombre incalculable de builds possibles, mais vous n'avez plus aucune chance de vous "tromper" dans la mesure où vous n'êtes soumis à aucun choix déterminant. C'était l'objectif de Blizzard, qui qualifie volontiers Diablo III de "jeu d'aventure/action" sur son site officiel. Notez bien qu'outre les PNJ qui vous accompagnent parfois au gré de vos quêtes, vous pouvez être assisté d'un compagnon permanent, à choisir entre le templier, le brigand et l'enchanteresse. Bien que, là encore, la sélection possible de leurs compétences n'ait rien de définitif (un simple clic permet de tout remettre à zéro), on apprécie de pouvoir profiter de cette association pour combler ses propres faiblesses : le templier peut, par exemple, être orienté tank ou healer.
Et l'interface, très classe, n'est vraiment pas en reste.
La personnalisation offerte passe aussi par les équipements de rareté variée – un aspect toujours aussi primordial, même en présence d'une des grandes nouveautés de cet opus : l'artisanat. Vous pouvez à présent faire appel à un forgeron ou à un joailler pour fabriquer ou sertir des équipements, moyennant le recyclage d'objets magiques inutilisés, ainsi que le versement de fortes sommes d'argent permettant de booster votre niveau de craft et d'obtenir des patrons intéressants. A ce sujet, on regrette la disparition du Cube Nephalem et du Chaudron de Jordanie, qui permettaient dans la bêta de vendre ou de recycler le fourbi qui encombre votre inventaire. Ces possibilités n'étaient sans doute guère "roleplay", mais elles évitaient les fréquents retours en ville (à la faveur d'un classique système de portails) qui hachent l'exploration des donjons et induisent une redondance que Blizzard s'efforce pourtant d'atténuer. De l'aveu de l'éditeur, il s'agissait de découper une même séance de jeu en de petites sessions, mais pourquoi imposer au joueur la façon dont il doit vivre son expérience ? Dans le même ordre idée, il y a la difficulté du mode Normal, que certains trouveront en recul par rapport aux épisodes précédents. Même s'il est impossible de spammer les potions, les orbes de vie sont suffisamment nombreux et les boss jamais très menaçants. Le challenge se fait surtout sentir par pics, que représentent par exemple les donjons chronométrés (difficiles à négocier sans l'aide d'un groupe). Ceci étant, il ne faudrait pas oublier que Diablo a toujours misé sur son excellente rejouabilité, qui vous donne l'occasion de débloquer d'autres niveaux de difficulté (Cauchemar, Enfer et Armageddon) proposant un défi autrement plus corsé, sans parler du mode Extrême où vous ne possédez qu'une seule et unique vie. Vous aurez compris que si certaines concessions nous chagrinent un peu, ce troisième volet reste d'une richesse et d'un intérêt hors du commun.
LES NOTES
Graphismes
18/20
Aspect dessiné, couleurs pastels, jeux de lumière, effets volumétriques... Les décors très travaillés bénéficient d'une direction artistique de haute volée, qui compense largement les modélisations et les animations un tantinet désuètes. Qui plus est, l'aspect technique un peu en retrait permet à Diablo III de tourner sur des configurations relativement modestes.
Jouabilité
17/20
Irréprochable, la prise en main est soutenue par une interface aussi claire que pratique, permettant se focaliser sur une action qui conserve son dynamisme en toutes circonstances. Le gameplay est d'une grande richesse, mais on regrette toutefois les quelques concessions faites sur l'autel de l'accessibilité, notamment en matière de construction des personnages.
Durée de vie
17/20
Diablo III procure jusqu'à une vingtaine d'heures de jeu si vous explorez à fond les zones traversées (rien que l'acte I est plus vaste et plus varié que l'intégralité du premier Diablo !). Il dispose d'un gros potentiel de rejouabilité, dû à la génération aléatoire d'une partie de son contenu mais aussi à la présence d'un mode coopératif, bien que l'on déplore l'absence de PvP au lancement.
Bande son
18/20
Toujours aussi atmosphériques, les compositions sont somptueuses. On apprécie au plus haut point la reprise d'illustres thèmes musicaux de la saga (comme celui de Tristram). Les bruitages très réussis renforcent le dynamisme des combats, et les doublages en français sont soignés. A ce sujet, notons que le souci du détail permet aux PNJ de s'adresser à vous en tenant compte de votre sexe !
Scénario
16/20
Si l'histoire, basée une fois de plus sur la lutte des forces du Bien contre les seigneurs des Enfers, n'est pas d'une grande complexité, elle s'appuie sur un background riche, une scénarisation travaillée et des personnages attachants. Elle réserve même quelques moments d'émotions, à la faveur de scènes cinématiques d'une qualité extraordinaire que devrait nous envier le cinéma.
Note Générale
18/20
Diablo III est bien le messie qu'on attendait depuis 12 ans, mais il se fait à la fois ange et démon. Ce nouveau titre de Blizzard, où s'exprime mieux que jamais le souci du détail propre à l'éditeur, procure une expérience riche et jubilatoire qui confine à l'addiction. Mais le jeu a aussi sa part d'ombre, qui se manifeste dans son souci d'accessibilité à tout prix. En l'absence d'une construction de personnage digne de ce nom, ce troisième opus perd même la seule composante RPG que pouvait encore revendiquer le genre. Cependant, vous devriez comme nous finir par succomber au péché : une fois la souris en main (n'oubliez pas d'en prévoir une de rechange), on ne peut plus s'arrêter de jouer, et c'est un signe qui ne trompe pas. Diablo III réussit donc son pari en s'imposant comme le meilleur hack'n slash depuis Diablo II.
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