De mon jardin jusqu'à Bangkok : la création de l'environnement du niveau "Côtes Thaïlandaises" (Tomb Raider: Underworld).
Bonjour à tous ! On m'a demandé il y a peu d'écrire un court article qui traiterait de mon expérience de Directeur artistique de l'environnement dans Tomb Raider: Underworld. Le moment est on ne peut mieux choisi : le jeu est presque terminé, j'ai donc toute latitude pour revenir sur cette expérience qui s'est étendue sur deux ans.
La démo étant sortie, les joueurs du monde entier ont un avant-goût du niveau "Côtes Thaïlandaises". C'est donc l'occasion de partager nos impressions et notre expérience (pour ne pas dire nos aventures !) concernant le processus de création.
Dès le départ, je voulais que l'environnement ait un ancrage réaliste. Tous les détails se devaient d'être vraisemblables : l'architecture, les lumières, les textures, même les espèces végétales. Ma position est la suivante : dans la mesure où Tomb Raider fait la part belle aux éléments fantastiques, un cadre réaliste permet d'asseoir l'ensemble de manière vraisemblable. Ainsi, l'imagination du joueur peut vagabonder, mais l'ensemble reste réaliste.
Comment traduit-on ce genre de choses dans la production d'un jeu, me direz-vous ? Eh bien, ce n'est pas simple !
J'ai pris l'avion, un appareil photo et un trépied comme seuls bagages. À ce stade, j'en vois déjà beaucoup qui se disent : "ce mec a un job en or ! ". Eh bien attendez de voir... Ce voyage fut le plus éprouvant de ma vie !
Pour commencer, l'avion s'est mis à faire des siennes, à San Francisco. Résultat : un retard de 6 heures au décollage et un changement d'itinéraire (Tokyo au lieu de Bangkok). J'arrive tant bien que mal au Cambodge (où les ruines sont les mieux conservées) et avec seulement 3 heures de sommeil au compteur, je retrouve mon guide. Nous nous rendons aussitôt sur le premier site. Dès que je sors de la voiture (climatisée, bien sûr), je me prends 40 C dans la figure et un taux d'humidité record. Bravant les éléments, je sors l'appareil photo. Et c'est là que l'effet Chaud-froid + humidité forment une tonne de condensation sur l'appareil photo, mais aussi (et plus grave) sur sa lentille... Ça commence très fort.
Il y avait tellement de condensation, j'ai bien cru que la partie électronique de l'appareil était fichue. Finalement, avec le bon matériel, je parviens à essuyer le tout et nous voilà repartis. Note pour plus tard : pour éviter ce genre de bonne blague, il faut placer son appareil dans un sac hermétique, du type de ceux qu'on utilise pour la nourriture, et quand la température se stabilise, hop, vous sortez l'appareil !
Les 5 jours qui ont suivi ont été très riches : je prenais environ 1 000 photos par jour de l'intérieur et des environs du temple d'Angkor Wat. Mais la chaleur était vraiment insupportable. J'avais tout le temps soif et j'étais en permanence sur les rotules. Le décalage horaire de 12 heures devait aussi y être pour quelque chose, bien sûr ! Mais en fin de compte, si c'était à refaire, je n'hésiterais pas une seconde. Grâce à ce voyage, nous avons eu des éléments de référence de grande qualité et ça se voit dans le niveau de la Thaïlande : les artistes avaient tout ce qu'il leur fallait comme référence sur l'architecture et ils ont pu recréer virtuellement toutes les textures, directement depuis les photos.
Mais à tout seigneur tout honneur : ce que j'ai fait au Cambodge n'est rien en comparaison du boulot qu'ont abattu Matt Abbott et Jacob Tai, les deux principaux artistes du niveau de la Thaïlande. Moi, je n'ai fourni que les différents éléments. C'est ce tandem-là qui a vraiment donné vie au niveau.
Après plusieurs mois de travail acharné, les artistes avaient bâti la géométrie du niveau et appliqué les textures. L'ensemble était vraiment très satisfaisant. Toutefois, il manquait un élément central : le feuillage.
Depuis le début, les choses étaient claires dans nos têtes : le niveau de la Thaïlande devait être une expérience unique, au coeur d'une jungle luxuriante. Les artistes avaient déjà conçu de très nombreuses plantes ; nous avons donc commencé à garnir la jungle de milliers de plantes. Et là, patatras : le moteur graphique ne suit plus et tout est ralenti. Ce fut là une énorme déception et notre plus grand défi lors du développement de Tomb Raider: Underworld.
Était-ce le nombre de polygones ? Les structures, trop complexes ? Ou les textures, trop grandes ? La distance d'affichage ? Les programmeurs s'arrachaient les cheveux, ne parvenant pas à isoler un seul paramètre qui aurait chamboulé la fluidité du moteur graphique. Nous avons fait des tonnes de test : un million de polygones, une surcharge de structures complexes : le moteur ne bronchait pas. Le problème devait donc venir d'un ensemble de facteurs.
Résultat, nous avons dû revoir notre copie en réduisant tous les éléments de l'environnement. Pour moi, c'était revenir en arrière ; nous voulions recréer une végétation dense avec des plantes par centaines, alors que le moteur nous contraignait à n'en utiliser que quelques dizaines. Après quelques tâtonnements, j'ai trouvé une astuce pour utiliser au mieux la projection des ombres dans la jungle. Ce qui nous a permis d'économiser beaucoup de ressources. Au final, nous avons pu inclure tout ce que nous voulions ! Et d'avoir trouvé un moyen de garder dans le niveau tous ces objets qui avaient été créés par nos artistes, je peux vous assurer que ce fut un immense soulagement et une grande, grande joie !
Patrick (Eidos)
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