OLIVIER SÉGURET
Débat culturel de fond hier autour de la Nespresso du chef de service : est-il possible d’adapter l’Enfer de Dante en jeu vidéo ? «Et comment ! s’emballe l’un. Je m’étonne même qu’on n’y ait pas pensé plus tôt.» «Bof, quel intérêt, objecte l’autre, on n’y trouve ni monstres ni combats et le diable lui-même est figé dans un lac de glace pour l’éternité.»
A l’origine de tant de brillantes saillies, l’assez stupéfiante nouvelle tombée mardi après-midi et selon laquelle Electronic Arts (EA), géant américain qui dispute à Activision le titre de plus grand éditeur mondial de jeux vidéo, lançait officiellement le chantier de Dante’s Inferno, d’après le fameux volet de la Divine comédie. C’est le studio Redwood Shores, propriété de EA, qui a reçu cette mission de confiance, naturellement pavée des meilleures intentions…
Damnés. Selon le communiqué diffusé par EA, «L’univers tourmenté et torturé du poète italien constitue une base idéale pour un jeu d’action-aventure à la troisième personne». Le poème, rappelons-le, est le récit de la traversée que Dante lui-même, à la recherche de sa bien-aimée Béatrice, entreprend à travers les neuf cercles hiérarchisés qui abritent toutes les catégories de damnés : les cercles des limbes, des luxurieux, des gourmands, des avares, des coléreux, des hérétiques, des violents, des trompeurs et enfin des traîtres.
«C’est le bon moment pour adapter ce chef-d’œuvre de la littérature mondiale dans l’univers du divertissement interactif et de réintroduire Dante auprès d’un public qui n’est peut-être plus très familier de cette œuvre d’art et de ses remarquables détails», a avancé le producteur exécutif du jeu, Jonathan Knight, avant de conclure : «Ce projet représente une occasion idéale pour fusionner un grand jeu et une grande histoire.» Au-delà de son aspect incongru et savoureux, l’anecdote appelle plusieurs commentaires. Le premier concerne EA et le très net virage éditorial que la compagnie a commencé à négocier cette année. Dante’s Inferno fait en effet partie de cette nouvelle génération de produits originaux récemment venus enrichir le catalogue de cette major du jeu vidéo, jusqu’ici réputée conservatrice dans ses choix, la licence sportive ou de blockbuster hollywoodien représentant ses deux principales spécialités. Après l’audacieux Mirror’s Edge et le très troublant Dead Space (justement développé par le même Redwood Shores), cet Enfer vient consolider une nouvelle politique visant à développer des jeux plus «matures», adultes, voire plus intellectuels, si le mot ne passait pas pour grossier dans le secteur.
Crise. Plus largement, l’annonce d’un Dante virtualisé témoigne de la vigueur et du désarroi d’une industrie condamnée à faire preuve d’imagination si elle veut continuer à échapper, comme c’est actuellement le cas, à la crise mondiale. Il y a quarante-huit heures, c’est Nintendo qui annonçait l’arrivée d’un prestigieux catalogue littéraire (très anglo-saxon) pour sa console de poche DS, ainsi transformée en une sorte de e-book en réduction. Pour la première salve, Shakespeare, Stevenson, Dickens, Wilde et une centaine d’autres grands auteurs sont disponibles sur une seule et même cartouche. Victor Hugo (pour les Misérables et Notre Dame de Paris, of course) ainsi que Jules Verne (20 000 lieues sous les mers et le Tour du monde en 80 jours) étant les seuls auteurs français actuellement répertoriés.
Pour une version jeu de plateformes de la Critique de la raison pure, il n’y a plus qu’à patienter.
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